Farandole des herbes folles (ethnobotanique poétique)

06/03/2018 19:28

Ethnobotanique poétique
ou la farandole des herbes folles 

 

Qu'est-ce donc qu'une mauvaise herbe, sinon une plante dont on n'a pas encore découvert les vertus ?  Ralph Waldo Emerson

 

Sommaire provisoire

  1. L'achillée millefeuille

  2. L'ail des ours

  3. L'alchémille commune

  4. L'alliaire officinale

  5. L'ancolie

  6. L'anémone pulsatille

  7. L'angélique sylvestre

  8. La grande armoise

  9. La bardane

  10. Le bleuet

 

Environ cent plantes 

L'achillée millefeuille (achillea millefolium L.) :

Herbe à dindes, herbes à dindons, herbe aux charpentiers, herbe de la Saint-Jean, herbe de Saint-Joseph, aux cochers, aux militaires, herbe aux coupures, saigne-nez, sourcil-de-Vénus.

Mille a toujours quelque chose de l'infini. Et si les multiples découpures de ses feuilles avaient à voir avec tous les chemins innombrables et leurs accotements sur lesquels cette rustique vivace pousse parfois malgré l'intolérable condition de sécheresse ? Et si mille renvoyait à un autre millénaire ? Selon Pline, naturaliste romain du premier siècle après J.-C., le héros Achille qui a donné son nom à notre plante, apprit du centaure Chiron les vertus médicinales de "l'herbe du guerrier" et dans l'Iliade l'Achéen soigna son ami Patrocle en saupoudrant ses blessures de racine d'achillée.

 

Les noms vernaculaires "herbe aux charpentiers" et "herbe de Saint St-Joseph" nous rappellent un autre livre et un autre lieu de l'Antiquité. L'enfant Jésus, miracle avant les miracles, aurait guéri quelques menues blessures que se serait faite son père adoptif en taillant une charpente. Plus tard, elle devint comme une bible du soigneur puisqu'elle fit partie durant la Première Guerre mondiale, du "kit" de première urgence porté par chaque soldat qui, faute de médicaments, pouvait soigner des blessures légères avec cette plante. Soyez attentifs donc à elle comme cette sommité parmi les simples prendra tôt ou tard soin de vous grâce à ses sommités fleuries*. N'avons-nous pas tous un talon d'Achille ?

Notification d'importance, l'herbe de Saint-Joseph entre dans les herbes de la Saint Jean, jetées ce jour-là au coeur du feu pour en répandre les cendres ensuite dans les champs et favoriser ainsi de bonnes récoltes. Croyances avez-vous dit ?

*Les pédoncules des fleurs ne sont pas attachés au même endroit, ce qui la distingue d'une ombellifère, pour laquelle d'ailleurs on pourrait la prendre.

 

L'aïl des ours (allium ursinum L.)

Ail des bois

Le marcheur ou le cueilleur n'a pas toujours conscience du danger. Quelques confusions parfois restent en travers de la gorge. Par exemple, il ne faut pas confondre l'ail des ours, jolie plante herbacée des sous-bois aux vertus semblables à celles de l'ail commun, avec le colchique qui présente le même type de feuille allongée.

 

L'alchémille commune (alchemilla vulgaris L.)

Pied-de-lion , Manteau-de-Notre-Dame, Patte-de-lapin, Pied-de-griffon, Porte- rosée

Appelée un temps "alchimille", son nom tient à la forme de ses feuilles. Si l'on s'aventure en quelque grimoire, on nous raconte que dans l'alchimie où l'on distille la rosée, c'était la feuille idéale. Au petit matin, chacune reçoit ce petit miracle scintillant, cette goutelette précieuse. Mélange de rosée et de cette eau de transpiration de la plante elle-même. Secrétion ou le secret révélé ? Perles translucides formant une larme parfaite au creux ou coeur de la feuille qu'il suffit d'incliner pour recueillir ce grain de chagrin. Perles translucides pour ne pas dire virginales. Quelque chose de cette rosacée et de sa rosée a à voir avec le bien-être et la beauté de la gente féminine...

 

 

L'alliaire officinale (alliaria officinalis L.)

Herbe à l'ail, Herbe sans pareille, Herbe aux auls

 

Champs ombragés, pour ne pas dire sous-bois, pour ne pas dire bords des chemins. C'est là que l'alliaire pose son aire de prédilection, à l'abri du soleil cru et loin de l'air trop sec... Blanche sa fleur qu'on disait hier crucifère, comme la Julienne des dames et l'épilobe, qu'aujourd'hui on invite parmi les brassicacées. Qui pourrait penser qu'elle est de la même famille que le chou-pomme ou le navet que l'on ne laisse que rarement monter en fleurs ? Le bétail le devine sans doute, en sa prescience instinctive, qui volontiers et goulûment ne fait qu'une goulée de la plante entière. Qui peut croire cela surtout si l'on frotte ses feuilles et que l'on sent comme une odeur d'ail, l'ail qui appartient à une autre famille. Certaines plantes des chemins nous déroutent. Certaines entretiendront toujours une part d'incertain...

 

L'ancolie, (aquilegia vulgaris L.)

Gant de fée, Colombine, Gant-de-Marie , fleur des Capucins, Cinq-doigts,Aiglantine

 

Quoi de mieux que la botanique pour latiniser ? Aquilegia avez-vous dit ? C'est que la fleur de l'ancolie est munie d'éperons ressemblant aux serres de l'aigle (aquila). Vulgaris pour le vulgum pecum semble insultant mais l'initié, lui, sait que cela veut dire commun. L'ancolie, fleur vivace et printanière, affectionne les terres fraîches mais bien drainées. Les graines de cette semi-sauvage peuvent se semer dans nos jardins en automne. Et, que d'images à associer à cette fleur toute en charme ! En nos contrées, on la surnomme "Gant de fée", "Colombine", "Gant de Marie" , "fleur des Capucins" -à cause de la forme de sa fleur sans doute), "Cornette", "cinq doigts", ... L'amour lui va bien, comme un gant. Et ni Ronsard ni Chateaubriand ne s'y sont trompés, ne resistant pas aux charmes de cette renonculacée. Amour toujours... Les Romains, déjà et pas si fous, qui ne niaient pas sa dimension aphrodisiaque, en interdisaient la culture et la cueillette aux vestales...

 

 

L'anémone pulsatille (anemone pulsatilla L.)

Coquerelle, Fleurs aux Dames, Fleur de Pâques

 

Son joli coeur jaune entouré de gros pétales bleu-violet nous fait palpiter pour ne pas dire pulser. C'est indéniablement une des plus belles fleurs des prairies sèches et plutôt montagnardes. Cete incomparable beauté mérite bien le nom d "herbe au vent" quand les clochettes s'agitent au moindre souffle. Mais attention, les belles se contemplent mais ne se cueillent pas toujours. Il faut caresser des yeux. Curiosité toujours : quand peu à peu certaines fleurs se fanent tandis que d'autres s'épanouissent tout juste, cette cousine du bouton d'or et de l'ancolie se couvre d'abondantes coiffures, de houppes duveteuses formées par la plume des fruits. L'anémone pulsatille au nom si féminin saura vous emmener vers des promesses que vous n'aviez même pas imaginées, de quoi faire tourner vos têtes autant que vos rêves légers et duveteux.

 

L'angélique sauvage (angelica sylvestris L.)

Herbe à la fièvre,

 

Si j'avais à choisir une famille de plantes pour symboliser la légèreté de l'été (avec ses jeunes filles d'un autre siècle, majestueuses dans leur longue robe), je choisirais les ombellifères. Et l'angélique, avec sa magnificence et son port élevé, deviendrait au jardin comme en pleine nature, l'ambassadrice. Proche de l'aneth, du cerfeuil sauvage, de la carotte sauvage (tiens ?), du carvi, est l'imposante et bisanuelle angélique... Toutes ou presque connues et reconnues dans nos potagers. Le fenouil est aussi de la famille.

 

Cette famille à ombelles, on la croise en bien des lieux dès le printemps : sur les bords de chemin, en sous-bois. Ainsi en va-t-il pour le boucage, la berce, l'impératoire et la dangereuse ciguë qu'on ne peut séparer de la mort de Socrate. Et bien sûr qui s'approche d'Eros et de ses anges que de Thanatos de la ciguë. Angelica sylvestris était associée à magie blanche. Selon la légende, l'herbe à la fièvre fut apportée par un ange à un moine en lui révélant ses vertus : elle protégeait les enfants, combattait la peste, guérissait même des morsures des bêtes enragées. Il y aurait du pouvoir de la Vierge Marie, si angélique en somme, quand on prétendait qu'elle chassait le démon. Faut-il trancher en faveur des sciences occultes ou en faveur du les sciences occultes ou du scientisme postivitse ? Au diable, renvoyons-les dos à dos !

 

La grande armoise (artemisia vulgaris L.)

Artémise, Herbe aux cent goûts, Herbe de feu, Herbe royale,herbe à la remise

Lieux d'errance plutôt que lieux de promenades. Bord des chemins et des routes perdues, remblais, décombres, berges, terrains vagues, à savoir d'anciennes stations services, des usines abandonnées. L'armoise coule rouge le long de ses tiges.  Mère de toutes les herbes dit-on, herbes de toutes les mères en ces lieux improbables d'accouchement à la sauvette ou de perte de virginité... Rouge comme le sang versé... La plante est dédiée à la déesse qui préside aux naissances. Artémis ou l'accouchement sans douleur avant l'heure. Fille de Zeus et de Léto, elle fut mise au monde sans douleur aucune.

 

"Si tu savais la vertu de l'artémise, tu en garnirais l'ourlet de ta chemise" nous chante un vent de poésie provençale, Frédéric Mistral.

 Tchernobyl, ou plutôt чорнобиль (tchornobylj) en ukrainien, désigne l'Armoise,

 

L a balotte fétide (balotta nigra L.)

Balotte noire

Odeur de vieux grenier diront certains. Puanteur indéfinissable rappelant le moisi ajouteront les plus offusqués. Pour ne vexer personne, je ne froisserai que la plante et m'en tiendrai à ma curiosité du jour ! Bien des plantes dites aromatiques parcourent nos réminiscences olfactives et bien d'autres fonctionnent comme des repoussoirs, nous rappelant en quelque sorte que nos émotions (telles que le dégoût) fixent des repères dans notre de cerveau. Souvent chacun varie, balotte au gré des humeurs...

 

La bardane (arctium lappa L.)

Glouteron,Herbe aux teigneux, Chou d'âne, Copeau,  Herbe aux pouilleux, Herbe aux seigneurs, Napolier ou Oreille-de-géant, poire de chiotte

 

Quand, aux heures des fenaisons, nous voulions taquiner voisines ou cousines de passages, nous cherchions en quelques endroits de la ferme ces petites bombes volantes et adhésives ayant le même principe que les crocs du fameux Velcro. Si les akènes de la bardane sont terminés en petits crochets, ce n'est point pour le simple amusement mais pour faciliter la dissémination des graines. Une fois de plus, l'on n'invente rien. Tout est dit. L'innovation technologique est souvent inspirée de l'observation de la nature.

 

La belladone  (atropa belladonna L.)

Belle Dame,  Bouton-noir, Cerise du diable, Guigne de côte, Herbe empoisonnée, Morelle furieuse, Morelle marine ou Permenton.

La mort est dans le pré ou auprès de vous, vous croyez ? Il faut pourtrouver la belladone que vous habitiez en région méditerranéenne ou alpine, et encore sur des terres calcaires. Des plantes peuvent tuer mais de là à les accuser de maléfiques intentions, il y a encore un pas. Parmi les espèces redoutables, nous trouvons cette plante au nom si charmant , cette "belle donna" ou belle dame pourtant de la même famille que notre tomate ou notre pomme de terre. Mais dans ses intentions -si l'on peut dire- elle se rangera aux côtés de la grande ciguë et son air de gentille carotte sauvage dont Socrate eut à subir le breuvage, sans oublier l'aconit napel regorgeant d'alcaloïdes, la berce du Caucase qui vous bercera dans les bras de Thanatos, le datura appelé stramoine. Les tueuses à petit feu,belles vénéneuses, sont assez nombreuses et l'on peut y ajouter la digitale pourpre, la renoncule sauvage, le muguet, le sceau de Salomon, le colchique, la bryone, l'anémone des bois et l'ancolie.

 

 

Le bleuet (centaurea cyanus ou cyanus segetum Hill)

Appelé autrefois "barbeau"

Vieille technique ancestrale, la jachère nous revient, qui plus est fleurie. Entre les légumes et les petits fruits, pourquoi pas. Un jardin n'est jamais aussi joli à croquer que lorsqu'il offre sa palette (pour ne pas dire son panier gourmand) de couleurs. La terre en jachère se repose mais cette tranquillité apparente est une gestation... Le bleuet est en bonne place dans les kits ou les sacs de un ou deux kilos pour les jardiniers amateurs. Parmi les graines de coréopsis, pavot de Californie et autres resplendissantes... Il faudra attendre deux mois environ après le semis pour voir le bleuet se décliner non seulement en bleu mais aussi en violet ou rose tendre.

Rendons un hommage particulier à cette fleur, commémorons... avec elle. Commençons tout d'abord par la Première guerre mondiale. Le surnom de bleuet fut donné par les poilus de la Première Guerre mondiale aux soldats de la classe 1915, qui n'avaient pas connu les pantalons rouges mais seulement l'uniforme bleu horizon. Petits bleuets moins visibles mais aussi fragiles... qui dans les tranchées viendront tout autant un champ de désolation. Lors de la libération de 1945, c'est le bleuet toujours qui entrait dans la composition du bouquet national, improvisé au bords des routes. Bleu avec le bleuet, blanc avec la marguerite et rouge avec le coquelicot.

 

La bourrache (borago officinalis L.)

Herbe à concombres, Langue d'oie

Au Moyen Âge, elle était considérée comme magique, aphrodisiaque. La magie et le charme, vous le savez, sont affaire commune. On se laisse envouter de bien des manières. Ainsi, la bourrache donnait, pensait-on, l'assurance et de la hardiesse dans les entreprises amoureuses.

Aujourd'hui le joli sourire bleuté (parfois rose ou blanc) de ses pétales se contente d'agrémenter nos parterres et parfois s'invite en cuisine pour fleurir les salades. Son surpenant goût iodé vous rappellera celui de l'huître J'ai remarqué pour ma part que c'était une des plantes les plus mellifères du jardin...

[...]